Groupe de manifestants en Turquie

Élections en Turquie : « Yes, we can »

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Les yeux du monde sont braqués sur la Turquie. Ce 14 mai était marqué en rouge sur les calendriers des 85 millions de Turcs et aussi de tous ceux qui reconnaissent l’influence et le rôle crucial que ce pays joue sur la scène internationale.

Par Alberto Rodriguez Pérez
Publié le 18 mai 2023

Après les résultats serrés obtenus dimanche au premier tour de la présidentielle, la période de l’entre-deux tours s’annonce dangereuse. L’issue de cette élection historique, le 28 mai prochain, déterminera l’avenir de la République de Turquie. Il ne s’agit pas seulement d’un affrontement entre Recep Tayyip Erdogan et Kemal Kiliçdaroglu, comme il semble à première vue. Elle est la réponse à la question cruciale de savoir si la Turquie évoluera vers une république laïque et démocratique, ou au contraire, vers une république islamique au même degré que bien d’autres au Moyen-Orient.

Pont entre l’Asie et l’Europe, le plus à l’est des pays de l’Ouest et le plus à l’ouest des pays de l’Est traverse une crise d’identité. C’est pourtant une erreur de parler des « deux Turquie ». Il y en a bien plus : la gauche et la droite, les Turcs et les Kurdes, les religieux et les laïcs, les urbains et les ruraux, les jeunes et les moins jeunes… Cependant, la figure d’Erdogan polarise. La voie empruntée par le président turc clive : soit avec moi, soit contre moi, sans zones d’ombre, sans ambiguïtés. Cela explique la politique énergique de ceux qui le soutiennent, mais aussi de ses opposants.

Erdogan, l’homme qui règne sans partage sur le pays depuis près de deux décennies, a détruit toutes les institutions de la République et a fini par contrôler l’autorité judiciaire, l’exécutif, le pouvoir législatif et surtout l’armée. C’est un président sectaire qui a transformé le régime en une fusion de l’État et du Parti de la justice et du développement (AKP). Il a tenté de soumettre des millions de femmes en annulant la Convention d’Istanbul qui garantissait leurs droits. Ainsi, au cours des vingt dernières années, la Turquie s’est transfigurée en un étrange régime autocrate islamoconservateur dans lequel une seule personne, élue par le peuple, a le privilège de tout décider sans en rendre compte. Le mécanisme du vote a été détourné pour créer un « sultan élu ». Après avoir été « serviteurs » pendant six cents ans sous le joug d’un sultan calife, les Turcs ne plébiscitent plus Erdogan, le « reis » de 69 ans, comme le leader incontesté.

Outre la crise identitaire, la Turquie est frappée par l’inflation et par les conséquences du séisme meurtrier de février. Pour autant, Recep Erdogan résiste mieux que ne l’avaient prédit les sondages (49,6 %), tandis que son opposant Kiliçdaroglu accomplit une percée remarquable (45 %). En dépit de la situation monétaire catastrophique, les blancs-seings donnés au président sont loin de s’effondrer, notamment dans le scrutin législatif organisé avec la présidentielle. Son camp obtient la moitié des six cents députés qui siégeront au parlement monocaméral à Ankara.
Le troisième candidat, Sinon Ogan, se pose en faiseur de rois. En prônant l’expulsion des 3,6 millions de réfugiés syriens vivant en Turquie, ce dissident du petit parti nationaliste MHP a recueilli 5,3 % des suffrages. En ne donnant pas de consigne de vote, il alourdit les incertitudes qui pèsent sur le second tour.

Deux semaines dangereuses s’ouvrent en raison du risque financier et de surenchère nationaliste dans un pays coupé en deux grands blocs aux postures diamétralement divergentes et dont chacun peut espérer l’emporter. Compte tenu de son identité ethnique et de son appartenance à la minorité religieuse des alévis, si le social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu à la tête d’une alliance de six formations de l’opposition et soutenu par le mouvement kurde était élu, son cas serait comparable à celui de Barack Obama.


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