L’impasse démocratique

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Élisabeth Borne a frôlé la censure, votée à 278 voix, soit neuf de moins que la majorité requise pour renverser le gouvernement. Une motion transpartisane déposée par le petit groupe LIOT, présenté à tort comme centriste et qui ne comprend en réalité que des nationalistes corses, des élus d’Outre-mer et des députés en rupture avec le PS et LR (dont celui de la Lozère qui n’a pas pris part au vote). « Démission ! Démission ! », hurlaient les bancs des insoumis, à l’extrême gauche. La chute, évitée de justesse, permet à la très décriée réforme des retraites d’être adoptée et aux proches de la Première ministre de crier victoire. Une séquence parlementaire se clôt, mais est-ce pour autant la fin de la crise qui secoue le pouvoir ?

Par Alberto Rodriguez Pérez
Publié le 20 mars 2023

C’est une crise grave du système politique de la Ve République. Elle est la conséquence de l’atténuation de l’élan du scrutin présidentiel avec une base électorale et sociale de plus en plus étroite pour Emmanuel Macron. Elle montre en outre que le vote du second tour est contraint et s’éloigne du choix projet contre projet. Par ailleurs, le 49.3, utilisé pour la centième fois depuis le début de la Ve République, est désormais perçu comme un passage en force. Considéré comme une mesure d’exception, il n’est acceptable par l’opinion publique que pour adopter un budget ou pour mettre fin à un débat qui s’éterniserait en raison de l’obstruction parlementaire.

Au volet institutionnel de la crise s’ajoute l’entente implicite et involontaire entre des forces politiques adverses pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de délibération parlementaire. Après le choix du recours au projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale qui permet d’activer l’article 47.1 de la Constitution et limiter la durée des débats tout en autorisant le gouvernement à agir par ordonnance s’il n’y a pas de fumée blanche, l’exécutif a greffé le vote bloqué au Sénat et, cerise sur le gâteau, le 49.3 pour empêcher un vote dont l’issue aurait été incertaine.

Ces éléments qui relèvent du parlementarisme rationalisé sont gravés dans la Constitution. Empreinte du Gaullisme, pour pousser en réalité à la bipolarisation gauche droite, ils sont à la fois une solution pour gouverner sans majorité absolue et un problème démocratique. Un paradigme en partie atténué en 2008, au moment de la révision constitutionnelle, afin de borner l’usage du 49.3 en donnant de nouveaux droits aux oppositions. Des oppositions qui dans le cas présent ont abusé des amendements. Et cela notamment lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale avec la technique d’obstruction classique qui consiste à faire pleuvoir un déluge d’amendements de telle sorte que l’on ne puisse pas aller au vote.

La conjugaison d’une part du parlementarisme hyper rationalisé et d’autre part des oppositions qui ne jouent pas le jeu de la délibération parlementaire, conduit à la situation invraisemblable où l’Assemblée n’assume plus son rôle et renvoie la société politique à la brutalité des conflits sans recherche de compromis.

À la lumière de cette séquence, nos institutions démocratiques sont aujourd’hui gravement dysfonctionnelles et il faut faire en sorte que des réformes de cette envergure ne puissent pas être adaptées sans un pertinant débat parlementaire, aux yeux des Français, quelle que soit la durée et quelle que soit l’issue. Nos sociétés affrontent une crise économique et un désenchantement aigu. Le sentiment de défiance envers le politique est au plus haut et nombre de nos concitoyens ne croient plus en la représentation nationale. Qu’elle soit absurde ou nécessaire, la gestion de cette réforme des retraites est révélatrice des failles de nos institutions, mais elle nous montre comment sortir de cette crise par le haut. À condition qu’elle nous apprenne à débattre. 


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