L’Europe au cœur du “Qatargate”

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Alors que les demi-finales ont livré leur verdict, la Coupe du monde de football au Qatar est-elle une réussite ?

Par Alberto Rodriguez Pérez
Publié le 15 décembre 2022

Sportivement, le spectacle est au rendez-vous. Du beau jeu, mais aussi des surprises, comme l’élimination de certains favoris de la compétition. En dehors des pelouses en revanche, les sujets de polémiques se multiplient : les milliers de morts sur les chantiers de construction, l’interdiction de porter un brassard arc-en-ciel en soutien aux personnes discriminées en raison de leur orientation sexuelle ou encore les prix exorbitants des billets et des nuitées, qui excluent de fait les catégories populaires de la possibilité de participer à la fête.

La dernière en date voit le Parlement européen secoué par une enquête pour corruption au profit présumé du Qatar. Quatre personnes ont été inculpées pour « appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent et corruption » puis écrouées dimanche par la justice belge. La socialiste grecque Eva Kaili, l’une des vice-présidentes  de l’assemblée, a notamment été arrêtée en flagrant délit et incarcérée. Elle est suspectée d’avoir reçu des fonds de l’émirat pour « influencer les décisions économiques et politiques » de l’Assemblée de Strasbourg. La sordidité de certains détails de la descente de police embarrasse : son compagnon est lui-même incarcéré et son propre père a été surpris en train de sortir d’un hôtel avec des centaines de milliers de dollars dans une valise.

Quelle que soit son issue, le « Qatargate » met en péril la crédibilité du Parlement européen. Les soupçons sont indignes de la seule institution européenne élue au suffrage direct, considérée donc comme la plus démocratique et la plus proche du citoyen et chargée de contrôler les organes exécutifs de l’Union européenne (UE).

Au-delà d’un projet économique et politique, l’UE s’est toujours affichée comme une figure morale, fondée sur de solides piliers humanistes qui l’ont érigée en référence internationale pour la défense des libertés civiles et des droits de l’homme. Si le fait que son cœur législatif ait servi de tribune cynique aux intérêts d’un pays accusé d’employer des travailleurs dans des conditions inacceptables, mais jugé stratégique en raison de ses réserves de gaz naturel, est avéré, l’Europe affrontera une profonde crise d’identité. Et cela au moment où elle fait face à une autre série de difficultés : une guerre à ses frontières qui met en péril sa sécurité et sa dépendance énergétique ; une récession qui pourrait entraîner des flambées sociales ; et le rejet des principes de la vision libérale de l’axe de Visegrad (la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie) qui menace de faire sauter ses fondations et donne des ailes aux europhobes.

Comment exiger des efforts de la part des États membres quand elle échoue à prévenir ce type de dérives en son propre sein ? Les institutions européennes doivent enquêter, démasquer et sanctionner les responsables. Et le Parlement européen doit profiter de ce scandale d’intégrité pour affirmer sa volonté de réforme. Cela implique d’abord d’instaurer une autorité éthique et indépendante dotée de ressources suffisantes et de pouvoir d’investigation et de répression. De renforcer  en parallèle les règles en vigueur en matière de transparence, de conflits d’intérêts et de va-et-vient entre les secteurs privé et public dans les instances européennes, en imposant des obligations de déclaration à tous les députés. Sans oublier de publier les actions de lobbying de pays étrangers. Ce sont les garanties d’indépendance des élus européens, qui les dissuaderont ne serait-ce que de voter de manière orientée.

Le prochain renouvellement du Parlement européen aura lieu en 2024. Pour légitimer ses actions,  l’institution doit sans attendre rehausser ses standards et ériger des garde-fous dignes de ce nom. Il en va du crédit de l’Union européenne.

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