Portrait de François Ier

François Ier, un roi en Sologne

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L’année 2015 est l’occasion de célébrer le 500anniversaire de l’avènement de François Ier. Son règne a marqué l’Histoire de France, avec la diffusion de la pensée et des arts de la Renaissance. En Val de Loire, le projet oublié de cité idéale de Romorantin et la construction du château de Chambord témoignent de la démesure des « décors » imaginés pour mettre en lumière le monarque.

Par Alberto Rodriguez Pérez
Publié le 20 Juillet 2015

Le 1er janvier 1515, François de Valois devient le roi François Ier. Il règnera 32 ans, modernisera l’État, facilitera la diffusion de la pensée et des arts de la Renaissance. Son œuvre immense ne fait pas pour autant oublier ses échecs. Sa capture à Pavie et les manœuvres et expéditions permanentes donnent à son règne l’allure d’une guerre perpétuelle. Dans les affaires intérieures, il entame une marche vers l’absolutisme en mettant au pas le Parlement. Et du côté de la religion, la répression envers les Protestants culmine avec le massacre des Protestants du Lubéron, « l’Oradour-sur-Glane » de François Ier.

Demeure la culture, point fort du bilan royal. Mécène et collectionneur, le roi à la salamandre emmène la France dans les fastes de la Renaissance. Connu pour son goût de l’architecture et des arts, ce souverain bâtisseur partage ainsi son temps entre guerres, conquêtes et construction de châteaux prestigieux.

Chambord, le grand chantier de François Ier en Sologne. ©ARP
Chambord, le grand chantier de François Ier en Sologne. ©ARP

Un mythe à sa gloire

« Dès le début de son règne, il cherche à affirmer sa puissance et à incarner le renouveau. Il va s’employer à la mise en valeur de sa personne et mettre en place ce que l’on appellerait, de nos jours, un plan de communication », affirme Élisabeth Latrémolière, conservatrice du château de Blois. Pour cette dernière, ce « plan de com’ », mis au point avec sa mère, Louise de Savoie, est basé sur ses qualités personnelles et sur la concomitance entre le roi et son époque. « Un souverain doit être naturellement plus grand, plus puissant, plus beau. Avec son mètre quatre-vingt-quinze, François avait le physique de l’emploi…, poursuit Elisabeth Latrémolière. Son empathie lui permit de profiter de cette extrême familiarité qui choquait tant les ambassadeurs étrangers. »

Débordant d’énergie, imaginatif, gourmand et intelligent, François Ier incarne la grande figure du monarque. La mise en scène du roi et de sa Cour, amplifiée par des récits qu’il fait produire par ses chroniqueurs, cherche à impressionner ses visiteurs et ses sujets.
L’affaire du sanglier qu’il aurait étouffé de ses mains au château d’Amboise, le faux adoubement de Marignan par le chevalier Bayard et l’affaire du camp du Drap d’Or -une prétendue lutte à mains nues dont François Ier serait sorti victorieux face à Henri VIII, roi d’Angleterre- en sont de parfaits exemples. « Main de fer dans un gant de velours, il magnifie sa personne et son rôle. Il aime tout avec excès. Ses nombreux projets architecturaux participent au culte de sa beauté physique et de son esprit vif, confirme Elisabeth Latrémolière. Et Blois en est le galop d’essai.»

Elisabeth Latrémolière, conservatrice au château de Blois. ©ARP
Elisabeth Latrémolière, conservatrice au château de Blois. ©ARP

En commençant par Blois

Le château de Blois fut en effet le premier chantier du jeune roi. En épousant Claude de France, la fille de Louis XII, François Ier hérite du château de son prédécesseur et beau-père. Il s’approprie le bâtiment et lance la construction de l’aile qui porte aujourd’hui son nom. Considéré comme le début de l’art nouveau français, l’aile François Ier s’inspire de la renaissance italienne et de la tradition gothique. La tour d’escalier polygonale est conçue comme un décor grandiose pour la mise en scène du roi et de la Cour.

Mais si François Ier lance lui-même ses chantiers, il passe très rapidement d’un projet à un autre. Après Blois, dont les travaux seront finalisés par sa femme, il s’intéresse à Romorantin. François Ier avait en effet passé une grande partie de son enfance sur les rives de la Sauldre. Dès qu’il fut désigné héritier du trône germe dans la tête de sa mère, Louise de Savoie, l’idée de bâtir pour son « César » un nouveau château à Romorantin. Et pour construire cette résidence royale, celui-ci fait appel à Leonard de Vinci, qu’il rencontre après la bataille de Marignan. Auréolé de sa victoire sur les mercenaires suisses, la plus puissante armée du monde, il commande au génie florentin un ambitieux château et des plans d’urbanisme pour la capitale de la Sologne.

Ce n’est en fait pas un château, mais une ville qui sera conceptualisée ; une cité conçue pour accueillir la Cour. Résidence royale, écuries… Et, en bordure de château, face au fleuve, des gradins pour contempler les jeux sur l’eau…. « C’est une Cour de jeunes de 20 ans, rappelle Martine Vallon, conservatrice au musée de Sologne. Faire la fête était très important, et Léonard était aussi un grand metteur en scène de spectacles. »

Une cité idéale à Romorantin

Léonard de Vinci arrive à Amboise à l’automne 1516 et s’installe au Clos-Lucé. Martine Vallon est aujourd’hui convaincue que l’artiste et savant a été séduit par la carte blanche donnée par le roi. Un blanc-seing qui lui permet de mettre en pratique ses recherches menées depuis 30 ans en matière d’urbanisme et d’hydrographie, sa première passion. « Ce projet n’était pas simplement le projet d’un château. Avec le savoir du maître, il devait contribuer au développement économique de la région et faire de Romorantin un Versailles avant l’heure, poursuit Martine Vallon. Des aménagements hydrauliques et la construction de moulins et canaux en constituent l’essence-même. Romorantin étant située au centre du royaume, on pouvait, en descendant la Sauldre, le Cher et la Loire, atteindre facilement l’Atlantique. Et aussi, en remontant la Loire, s’appuyant sur des canaux et des écluses, récupérer la Saône, le Rhône, et gagner la Méditerranée. Le « canal de deux mers » verra ainsi le jour sous Louis XIV avec le canal du Midi. »

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Dans ce projet global, le vin a même toute sa place. En hiver 1517-18, le roi achète 80 000 pieds du vignoble de Beaune, en Bourgogne, et les fait planter dans le lieu-dit « Les Beaunes », sur la route de Pruniers. Ce vin est le cépage Romorantin actuel, commercialisé sous l’AOC Cour-Cheverny.

Et puis, il y a aussi la chasse dans ce projet de cité idéale. La vénerie du cerf est en effet l’activité favorite de François Ier. Les 2 000 hectares de la forêt de Bruadan, entre Millançay et Marcilly-en-Gault, furent le terrain de chasse d’enfance du jeune François. Dès son avènement, il les fait classer en garenne royale, sorte de garde-manger réservé au souverain et à ses fils. C’est la première forêt en France dont les allées seront tracées en étoile pour la chasse à courre. Devenue propriété privée, cette forêt de chênes conserve l’allée du roi. Longue ligne droite de 10 kilomètres, elle a été transformée en route départementale.

La cité idéale de Romorantin fut un projet pharaonique, complexe et utopique. Des travaux de mise hors cru du site ont été réalisés, ainsi que la construction d’un terre-plein et de galeries pour les écuries. Ils seront finalement stoppés le 3 mai 1519, à la mort de Leonard de Vinci.

Chambord, un pavillon de chasse devenu palais

Chambord arrive juste après l’échec de Romorantin. Le chantier commence en septembre 1519. Pour Luc Forlivesi, conservateur général du patrimoine, « il y a à Chambord plus l’esprit de Léonard de Vinci que sa main. C’est tellement géométrique, répétitif et conceptuel qu’il est impensable d’imaginer que Leonard, pour qui le mouvement est la clé de toute la réflexion, ne soit pas présent ici, au moins par l’esprit. »

Le roi choisit ce lieu quelque peu à l’écart de la vie de la Cour pour se retirer avec « sa petite bande. » Et paradoxalement, il bâtit un monument grandiose à sa gloire. Alors que le dessin initial ne comporte que le donjon et le carré avec les quatre tours, le pavillon de chasse évolue vers un palais avec son aile royale. C’est la réponse architecturale au début de l’Etiquette : alors qu’auparavant, le roi dormait au milieu de ses invités, une grande salle de 250 m2 sert désormais d’accueil et fait office de filtre vers la chambre du souverain. « Même le fameux l’escalier central à double révolution était un outil dont le roi jouait pour faire découvrir la richesse de son château. Avec, peut-être, un sens de monte et de descente, ou encore une partie réservée au roi », explique Luc Forlivesi.

Chambord restera une sorte de campement de luxe où le roi se rend assez rarement pour chasser. Il n’y séjournera d’ailleurs que 73 jours sur 32 ans de règne. Pourtant, c’est dans ce campement de chasse que François Ier accueille son grand ennemi, l’empereur Charles Quint, en 1535. Sans doute pour lui en mettre plein les yeux… 500 ans après, Chambord reste une œuvre homogène qui a bien résisté au temps. Le château n’a jamais été habité sur de longues périodes, ce qui l’a sauvé de mises au goût du jour douteuses ou d’injonctions qui auraient pu le dénaturer. Cette limitation d’usage et sa charge symbolique font que l’architecture et le concept n’ont pas été fondamentalement modifiés.

La chasse aura également déterminé le destin du Domaine. Comme à Bruadan, François Ier crée une capitainerie de chasse et donne la priorité aux chasses royales. Il clôture la partie nord du Domaine de façon à bien marquer son territoire et à éloigner les intrus. La partie sud ne sera fermée qu’en 1660, donnant au Domaine sa configuration actuelle.

Seul domaine royal qui nous soit parvenu intact dans son volume et sa dimension, Chambord est un monument dans sa globalité. Le parc, de la surface de Paris intra-muros, en est l’écrin, voulu et ordonné autour du château. Une sorte d’apothéose de la première renaissance française édifiée à la gloire de son premier monarque.


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