Coup de jeune sur le patrimoine

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La bibliothèque Abbé-Grégoire à Blois est le dernier d’une longue liste de bâtiments labellisés « Patrimoine du XXe siècle » par le ministère de la Culture. Cette distinction valorise une production bâtie pléthorique : il s’est construit en cent ans autant d’édifices que pendant toute l’histoire de l’humanité. Une abondance problématique, pour plusieurs motifs. Méconnu, ce jeune patrimoine souffre d’un manque d’attention qui le menace. Foisonnant, il constituerait un fardeau si l’on se dévoue à le conserver à outrance, ce que personne ne souhaite faire a priori.

Par Alberto Rodriguez Pérez
Publié le 28 décembre 2018

« La reconnaissance de notre héritage récent permet d’identifier l’apport en matière d’innovation sociale, spatiale et technique que constitue ce remarquable ensemble architectural et urbain. Cette distinction valorise un ensemble exceptionnel à la fois lieux de vie et de travail. »  C’est par ces mots que Christophe Degruelle, président de l’agglomération blésoise, légitimait le label « Patrimoine du XXe siècle » remis par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) à la Bibliothèque Abbé-Grégoire en octobre dernier.

Imaginé par François Barré et lancé par le ministère de la Culture en 1999, « Patrimoine du XXe siècle » labélise les constructions et ensembles urbains dont l’intérêt justifie la sauvegarde. « Ce label identifie les constructions, protégées ou non au titre des Monuments historiques, passibles d’être transmises aux générations futures comme des éléments du patrimoine du siècle dernier », expliquait Fréderic Aubanton. Pour le représentant de la DRAC, « bien que sans incidence juridique ni financière, ce label peut être une alternative aux procédures de protection patrimoniale déjà existante. »

Bibliothèque Abbe Grégoire à Blois. Vue extérieure de nuit.

Bien connue des Blésois, la bibliothèque Abbé-Grégoire prolonge l’ensemble urbanistique de la place piétonne Jean-Jaurès. Portée par la municipalité Jack Lang et conçue par le studio parisien Jean et Aline Harari, elle constitue depuis son ouverture en 1997 l’un des sites majeurs de diffusion de la culture et l’un des symboles architecturaux du XXe siècle à Blois.

La distinction de cet édifice remarquable est loin d’être une première sur le territoire d’Agglopolys. La Basilique Notre-Dame-de-la-Trinité, la Chocolaterie Poulain et la Maison Calcat dite Logis du Loup ont également été labellisées. Trois bâtiments blésois qui se retrouvent ainsi valorisés au même titre que cent trente autres en région Centre. Parmi eux, l’Usine Normant à Romorantin, La Saulot à Salbris, les maisons Art nouveau à Orléans et le Service interrégional du traitement de l’information (SITI) à la Source.

D’autres édifices du territoire pourraient leur emboiter le pas, notamment la Capitainerie du Lac de Loire, la façade de l’ancienne imprimerie Cino Del Duca ou encore les logements du cirque Amar.

Faut-il conserver un patrimoine méconnu, foisonnant et parfois mal aimé ?

La liste est longue et le nombre interminable de prétendants au label problématique. Et cela, pour plusieurs motifs. Méconnu, ce jeune patrimoine souffre d’un manque d’attention qui le menace. Foisonnant, il constitue un fardeau si l’on décidait de le conserver à outrance. Et personne ne semble le souhaiter a priori.

Voilà pourquoi le label « Architecture contemporaine remarquable » vient remplacer « Patrimoine du XXe siècle ». L’article 78 de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) prévoit que « les immeubles, les ensembles architecturaux, les ouvrages d’art et les aménagements, parmi les réalisations de moins de cent ans d’âge, dont la conception présente un intérêt architectural ou technique suffisant reçoivent un label après avis de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture. »

Ce nouveau label a clairement une disposition temporaire. Il disparaît en effet de plein droit si l’immeuble est classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou atteint l’échéance de cent ans après sa construction. À ce titre, il apparaît comme une sorte d’antichambre de l’inscription ou du classement ou comme une compensation pour les ensembles architecturaux qui n’ont pas vocation à en bénéficier. Il met également un frein aux ardeurs de grands architectes contemporains, de plus en plus nombreux à réclamer le classement de certaines œuvres de leurs collègues ou leurs propres créations, y compris des bâtiments construits dans les années 1960 qui étaient pourtant prévus pour durer trente ans seulement.

Après le XIXe siècle qui a inventé les monuments historiques, le XXe siècle qui a défini les ensembles urbains historiques, le XXIe siècle commençant est en train d’amplifier le phénomène de « l’omnipatrimonialisation ». Allons-nous conserver pour les siècles à venir une poignée de monuments ? Allons-nous, au contraire, préserver pour une foule de vestiges de tous ordres ? Ces questions interrogent sur la notion même de patrimoine et sur notre capacité collective à relever le défi de la mémoire, de l’histoire et des témoignages laissés aux générations futures.


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