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L’Europe devra faire face à des rationnements au cours de l’hiver. Trois chocs successifs ont poussé l’Union européenne (UE) vers la pire crise énergétique qu’elle n’ait jamais connue.

Par Alberto Rodriguez Pérez
Publié le 1er septembre 2022

Le premier est une conséquence de la pandémie. Au plus fort du confinement, les investissements dans le pétrole et le gaz ont fortement diminué entraînant une pénurie et des prix élevés. Dès l’été 2021, bien avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie avait réduit considérablement ses exportations de gaz, ne remplissant plus les sites de stockage en Europe.

Depuis l’invasion de l’Ukraine, le régime de Vladimir Poutine utilise le tarissement du gaz comme levier pour obliger les pays les plus dépendants à assouplir les sanctions qui le frappent. Ne livrant plus qu’un tiers des volumes prévus, les prix ont décuplé et les gouvernements européens financent cet impact tarifaire en distribuant des milliards de subventions.

Enfin, cet été, plusieurs impondérables ont aggravé une situation déjà tendue. Des problèmes de corrosion ont contraint la France à arrêter la moitié de ses réacteurs nucléaires. La baisse des niveaux des cours d’eau a compromis la production d’hydroélectricité et affecté les centrales au charbon, tributaires des voies navigables pour acheminer le minerai.

En raison de ces trois chocs, l’Europe ne disposera pas, au cours de l’hiver, d’énergie suffisante pour satisfaire la demande. Les entreprises étant les « premières touchées » en cas de rationnement, le risque d’une récession de la zone euro, déjà impactée par l’inflation croissante, suivie de tensions sociales, existe. Pour éviter ces dangers et consolider la politique étrangère européenne vis-à-vis de la Russie, trois économistes du centre pro-européen de réflexion Bruegel appellent, dans une tribune au journal « Le Monde », à une contre-offensive.

En créant un grand marché plus flexible et en investissant rapidement, l’UE peut, selon ces experts, accélérer la transition vers une énergie plus propre et plus abordable. Pour augmenter l’offre, il faudra rassembler toutes les sources inexploitées ou mises de côté telles que le nucléaire et le lignite allemands ou encore les gisements de gaz néerlandais. Les économistes proposent également un abaissement momentané des normes de pollution et des conditions de travail. Une voie étroite entre l’urgence climatique et l’urgence énergétique reste à trouver, acceptable par les États membres.

Autre recommandation : les trois économistes exhortent les dirigeants européens à agir sur l’approvisionnement groupé en gaz mettant fin aux égoïsmes nationaux et au protectionnisme tout en abaissant les coûts par l’achat des volumes plus importants. Et aux experts de poursuivre sur la nécessité de consentir des efforts pour réduire la consommation. Il revient aux responsables politiques d’expliquer, aux ménages et aux entreprises, le lien entre la sobriété énergétique et la préservation des emplois et de la paix. Des outils réglementaires tels que les limitations de vitesse ou l’ajustement de la température minimale dans les bâtiments sont, dans certains pays, déjà à l’étude.

Enfin, les impératifs immédiats ne doivent pas détourner l’attention pour réduire, à long terme, les combustibles fossiles. L’UE dispose de plans ambitieux, mais il faudra d’abord bien gérer l’hiver long et froid à venir. Un accord européen sur l’énergie permettra aux Allemands de passer l’hiver sans gaz russe, protégera les ménages européens les plus vulnérables et incitera les pays les moins dépendants à assumer solidairement une partie de cette charge. Une telle solution est l’unique moyen d’avancer vers la neutralité carbone tout en donnant du sens à la politique étrangère de l’Union européenne. Ne laissons pas Poutine décider à la place des Européens.


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