Mort d’Elizabeth II : la fin d’une éternité !

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De 1926 à 2022, tout a changé au Royaume-Uni : une guerre mondiale a été gagnée et un empire perdu, le Brexit a mis fin à 47 ans d’adhésion à l’Europe et une décennie a été marquée par la contre-culture et une autre par la révolution conservatrice. Les shillings et les guinées appartiennent au passé, l’expresso a pris le pas sur le thé, il y a plus de papistes que d’anglicans et le système de mesure impérial survit à peine grâce à une allégeance sacrée à la pinte. D’un bout à l’autre de la vie d’Elizabeth II, pierre angulaire du pays depuis la seconde moitié du XXe siècle, il n’y a presque rien qui n’ait été réinventé.

Par Alberto Rodriguez Pérez
Publié le 15 septembre 2022

Le choc provoqué par sa disparition a été considérablement atténué grâce à un protocole de succession rapide et millimétré, après le décès de la reine jeudi 8 septembre, à l’âge de 96 ans, dans sa résidence de Balmoral (Écosse). Pour de nombreux Britanniques, l’arrivée sur le trône de Charles III alimente l’espoir d’une continuité de la couronne dans une nation de plus en plus fragmentée et brumeuse.

L’étourdissement, cependant, n’a pas complètement disparu. En dépit de l’anachronisme de l’institution monarchique britannique en ces temps où les élites privilégiées suscitent la colère, Elizabeth II a réussi, à la fin de son règne, à susciter un respect quasi unanime à l’intérieur et à l’extérieur de son royaume, mais pour d’autres raisons que le simple exercice de ses fonctions constitutionnelles de chef de l’État au pouvoir symbolique.

Dans les quinze pays du Commonwealth, la nouvelle ère élisabéthaine symbolisait la permanence ultime de la sphère anglo-saxonne, perpétuant la douce illusion que la monarchie est éternelle. Dans le reste du monde, c’était l’expression maximale de ce qu’on a fini par appeler en politique internationale le Soft Power : la capacité d’un pays à exercer une influence extérieure à travers sa culture, son histoire et ses institutions. Elizabeth II fut, pour des millions de citoyens, la dernière grande reine d’une monarchie démocratique admirée pour son impassibilité, son esprit pratique et ses traditions séculaires.

La réalité que Charles III affronte comme roi est très différente. L’époque récente correspond à une perte d’influence du pays. Le Royaume-Uni souffre d’inégalités économiques et sociales criantes dont il ne s’est pas encore remis après les dures années d’austérité qui ont suivi la crise financière de 2008. La fracture du Brexit a provoqué une division de la société britannique et un éloignement de ses voisins européens que les provocations continues des années de gouvernance de Boris Johnson n’ont fait qu’aggraver.

L’Écosse a vigoureusement renouvelé son attachement à l’indépendance, et l’Irlande du Nord — maillon le plus faible dans le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne — est aujourd’hui plus proche de la réunification avec la République d’Irlande. Enfin, de nombreux pays de ce Commonwealth tant aimé et protégé par le défunt monarque, dans lequel le sentiment républicain grandissait (Canada, Australie), voient dans la succession au trône une occasion de demander des référendums sur une sortie de la monarchie.

Face à ces menaces, Charles III, figure complexe, sensible et souvent moquée par les tabloïds, n’a pas le charisme de sa mère. À 73 ans, son règne sera plus moderne, plus engagé peut-être. Resté dans l’antichambre du trône tout au long de ces décennies en tant qu’héritier, il a publiquement donné son avis sur des questions telles que le changement climatique, l’architecture urbaine ou les inégalités sociales.

La non-ingérence dans la politique britannique à laquelle il s’est engagé, va inévitablement l’empêcher de polariser, mais aussi de plaider les causes défendues par les jeunes Britanniques. C’est le risque pour une monarchie moderne, qui, paradoxalement, nécessite le consentement populaire. Un signe supplémentaire de la fin d’une époque.

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