Mort à Milan ce 12 juin à 86 ans, Silvio Berlusconi, l’inventeur du populisme, que ni la politique ni la justice n’ont réussi à attraper, n’a jamais trompé personne. Les Italiens ont tout de suite compris que le dirigeant à l’air de galant à l’ancienne, chaussé de talonnettes et au bronzage permanent, n’était pas un politicien, mais bien un acteur de la Commedia dell’arte.
Par Alberto Rodriguez Pérez
Publié le 14 juin 2023
À défaut d’être visionnaire, ce personnage au tempérament désinvolte et jouisseur a toujours su capter l’humeur des Italiens et s’est donné comme rôle principal de représenter une partie de l’âme de l’Italie. « L’Italie est le pays que j’aime. » C’est par ces mots qu’il apparaît sur toutes ses chaînes de télévision, le 26 janvier 1994, pour annoncer son intention de se lancer dans la campagne des élections législatives.
Le scénario que Berlusconi proposait aux Italiens s’accomplissait en multipliant sa propre fortune au rythme de son influence politique. Le tout, en utilisant la télévision pour légitimer socialement ses excès juridiques et moraux. Mais malgré le prix élevé du billet, la représentation en valait la peine et le public, lassé qu’il était de vieilles formules et de chefs lointains, paya le prix. La graine de populisme qu’il a semée en politique pendant deux décennies — le vulgaire, le grossier, l’extrême impudence, le mensonge éhonté — est devenue un fléau auquel, pour l’instant, il n’y a pas de remède. Une plaie dont des générations entières d’Italiens, mais aussi d’Européens, mettront du temps à s’extirper.
Entrepreneur et président du conseil : conflit d’intérêts permanent…
Comment qualifier son dernier mandat conclu ce samedi 12 novembre 2011 lorsque M. Berlusconi remet sa démission après l’adoption de nouvelles mesures d’austérité par le Parlement ? Il a quitté le pouvoir par la petite porte avec les juges à ses trousses pour délits fiscaux et incitation à la prostitution de mineurs. Il n’a accepté de partir qu’après que l’Union européenne et les marchés aient demandé sa tête au président de la République de l’époque, Giorgio Napolitano, en échange de tendre la main à une Italie en faillite. Le chef de file de la droite, dont il est parvenu à unir les composantes, n’a pas été vaincu par la raison mais par l’intérêt. De l’Italie d’abord, enfoncée dans la plus longue récession de son histoire et qui doit nécessairement mettre en place une loi de stabilité financière. Puis, par ses propres intérêts commerciaux. La menace de ruine de l’économie transalpine pouvait aussi entraîner la chute de son empire médiatique contrôlant plusieurs chaînes de télévision en Italie et en Espagne ainsi que les éditions Mondadori, le plus important éditeur de presse magazine de la péninsule. Même cette défaite sanglante, « Il Cavaliere » a su la faire passer pour un geste noble. L’acteur qui s’était tant de fois déguisé en clown singea la posture d’homme d’État.
Ce samedi soir, un Berlusconi contraint s’est discrètement écarté et a accepté que l’ex-commissaire européen Mario Monti forme un gouvernement technico-politique d’urgence. Mais il a rapidement surmonté son dégoût et, revanchard, il a averti son camp : « Nous sommes en mesure de débrancher la prise quand nous voulons. » Pourtant, commence alors un long déclin pour lui et sa formation Forza Italia.
En somme, le projet populiste de Silvio Berlusconi d’ériger le populisme en système de gouvernement n’a jamais été en accord avec les aspirations des Italiens, des dirigeants décents, des propositions crédibles et un programme sensé et riche d’espoir.
Telle une dernière provocation, l’exécutif italien a décrété une journée de deuil national mercredi à l’occasion des funérailles d’État présidées par Giorgia Meloni, l’une de ses meilleures disciples. La classe politique le pleure, supposant, à tort ou à raison, qu’une partie des Italiens se retrouve en lui. L’acteur est mort, mais la comédie continue.
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